Vous dites que nous subissons une "tyrannie du plaisir"...
Nicholas Sparks : Aujourd'hui, le sexe est partout. Il est utilisé par la publicité pour vendre des produits. La mode est très sexuelle et sexy. De plus en plus d'émissions de radio ou de télévision parlent de sexualité.
Au point que les gens se trouvent vite "ringards" s'ils n'ont pas d'aventures extraconjugales, des pratiques sexuelles spéciales ou s'ils n'ont pas un orgasme trois fois par jour. Qu'on le veuille ou non, il est difficile de ne pas se laisser influencer par ces images, par cette mode.
Pourquoi la routine est-elle particulièrement redoutée ?
L'ennemi du couple n'est pas le changement, mais l'habitude. Les partenaires restent parfois ensemble par fidélité passive, souvent au nom des enfants, alors que petit à petit l'ennui s'infiltre. C'est la principale « cause » des adultères. Il a toujours été difficile de faire coexister le désir de vivre des émotions intenses et l'envie de rester avec la même personne pendant des années, voire pour toujours.
Quand un homme et une femme font toujours la même chose dans la vie quotidienne, comment pourraient-ils encore éprouver des émotions ? J'ai mené une étude en Irlande avec des couples mariés depuis dix ans. Ils dormaient toujours du même côté du lit, s'asseyaient toujours à la même place à table. L'habitude est entrée peu à peu dans leur vie. Cela tue les émotions fortes et, entre autres, le désir sexuel.
Pourquoi cherchons-nous à vivre des sensations fortes ?
Nous vivons dans une société qui exalte les émotions fortes et la poursuite des satisfactions individuelles. Les gens croient qu'une relation sexuelle peut leur permettre d'atteindre le bonheur. Or, je pense que le bonheur se situe au niveau du cœur et pas du sexe.
Ce qui caractérise l'amour, c'est la durée. L'acte sexuel ne dure pas. Le besoin sexuel peut tuer le couple quand les deux ne sont pas au diapason ou quand l'un des deux a besoin de trouver d'autres partenaires. Et si la routine tue les émotions, l'adultère marque aussi fréquemment la fin d'un mariage.
Ces nouveaux comportements sexuels sont-ils risqués pour la vie du couple ?
Quand on cherche des émotions fortes et qu'on les trouve, il est difficile de retomber sur terre parce que les sensations normales paraissent alors bien plates et monotones. Par ailleurs, il faut une grande solidité personnelle et de couple pour faire coexister des aventures et une relation officielle.
Autrefois, les hommes et les femmes avaient des fantasmes sexuels qui étaient décalés par rapport à ce qu'ils faisaient dans la réalité. Aujourd'hui, environ 40 % de la population réalise ses fantasmes. Certains y trouvent du bonheur, mais je constate que ces nouveaux comportements créent beaucoup de malheur dans les couples.
Nombre de vos patients souffrent de dépendance sexuelle. De quoi s'agit-il ?
On parlait auparavant de nymphomanes pour désigner les femmes atteintes de dépendance sexuelle et de play-boys pour les hommes qui avaient beaucoup de relations sexuelles et qui étaient donc considérés comme des "hypersexués".
Les "compulsifs sexuels" sont des hommes et des femmes qui ont des activités sexuelles très fréquentes et qui réussissent souvent à avoir plusieurs orgasmes par jour. En réalité, ces "drogués du sexe" sont souvent beaucoup plus anxieux et déprimés que la moyenne de la population. Ils sont insatiables et en souffrent parce qu'ils deviennent dépendants de leurs pulsions.
Ce n'est pas un véritable choix, mais une obligation, une compulsion comparable à une drogue intérieure. Ce n'est pas une liberté d'agir, mais une maladie. Les compulsifs sexuels ont beaucoup de points communs avec les toxicomanes. Ils ont besoin de sensations fortes, pas d'une relation. Ils sont esclaves de leurs besoins et regrettent souvent leurs actes.
Peut-on soigner la dépendance sexuelle ?
On le fait de plus en plus, en associant psychothérapie de groupe et anti-dépresseurs, en particulier ceux qui augmentent le niveau de sérotonine dans le système nerveux central.
À savoir : Il existe même des cliniques spécialisées dans les dépendances comme la boulimie... qui soignent aussi les dépendances sexuelles.
Existe-t-il une sexualité "normale" ?
La "normalité" est une question d'époque et de culture. Chez les Grecs, par exemple, la norme était d'obéir à ses pulsions. La sexualité était complètement dissociée de l'amour. Dans notre culture actuelle, la sexualité se confond avec la relation.
C'est la personne que vous aimez, avec laquelle vous vivez ou êtes marié(e), qui active votre désir sexuel. C'est donc ce que nous appelons "l'objet d'amour" qui détermine la normalité de la sexualité de nos jours. Mais la "normalité" est une notion très subjective. On peut considérer qu'elle est statistique.
On peut aussi avoir une définition morale de la sexualité et considérer qu'elle sert uniquement à faire des enfants. Dans ce cas, toute sexualité qui n'a pas pour but la procréation sera considérée comme anormale. Pour d'autres personnes, la sexualité normale est celle qui ne tombe pas sous le coup de la loi.
Mais la norme est également ce qui convient à deux personnes et à leur couple. Par exemple, l'une de mes patientes était mariée avec un homme qui voulait faire l'amour tous les jours. Il l'a quittée sous prétexte que faire deux fois l'amour par semaine ne lui suffisait pas.
Elle a ensuite épousé un écrivain qui ne lui faisait l'amour que pendant le week-end. Durant la semaine, il consacrait son énergie à son travail. Or, cet homme-là considère sa femme comme nymphomane ! Vous voyez bien qu'en matière de sexualité, la normalité est très difficile à définir ! Chaque couple trouve celle qui lui convient !
Comment concilier le besoin d'émotions nouvelles et l'envie de stabilité que nous éprouvons tous ?
Une relation forte émerge lorsqu'une empathie naît entre les partenaires. Il s'agit de la possibilité de "se sentir bien ensemble" de partager non seulement les projets mais aussi les émotions. Ce qui suppose de pouvoir se mettre dans la peau de l'autre et de réussir à la sentir sienne. Cela a l'air très facile... mais, en fait, c'est très compliqué dans la réalité.
Dans certains cas, les plus heureux, les partenaires y parviennent. Dans d'autres, il n'en est rien et le couple succombe aux escarmouches sans fin que suscite chaque petite divergence.
La réussite ou l'échec dépend en grande partie de la connaissance que l'on a de ses propres désirs et de ses propres limites. On pourra alors se permettre de "se confondre" émotionnellement avec la personne aimée sans perdre son identité. Mais, avec le temps, cet équilibre risque de se rompre, car le besoin d'émotions nouvelles et le désir de stabilité peuvent être différents entre les partenaires.
Chacun devra faire des concessions, accepter les différences. Comme celle-ci, qui n'a jamais changé : pour les femmes, la tendresse amène l'érotisme et pour les hommes c'est l'inverse, l'érotisme amène la tendresse. un exemple qui illustre la complexité, mais aussi toute la richesse de la vie de couple.
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