La tyrannie du plaisir : repenser sa sexualité
Jouir sans entraves. S'il y a un slogan de Mai 68 qui a été appliqué avec constance, c'est bien celui-ci ! À tel point que l'on parle aujourd'hui de tyrannie du plaisir. Tous les sexologues le reconnaissent et le déplorent : hommes et femmes sont aujourd'hui soumis, de manière plus ou moins consciente et plus ou moins consentante, à une sexualité dite de performance. Il ne s'agit plus de se mettre à l'écoute de son désir singulier, mais de faire la démonstration de son savoir-faire technique.
À cette course à la technique, s'ajoute un égoïsme hédoniste revendiqué qui met le partenaire dans la position du donneur obligatoire de plaisir. L'autre, homme ou femme, est celui qui est tenu par un contrat tacite ou exprès de fournir du plaisir, faute de quoi, il pourra être "licencié" sans état d'âme. Du coup, on ne va plus le cœur et le corps légers vers la rencontre sexuelle, mais on est dans l'anxiété de décevoir l'autre.
On comprend mieux pourquoi cette fixation sur l’orgasme est devenue si obsédante et surtout si déstabilisante, dans les têtes et dans les couples.
Je privilégie la sensualité
Pauline, 38 ans, vit en couple depuis cinq ans. Satisfaite de sa vie sexuelle, elle a été troublée par les confidences d'une amie qui n'envisage pas de relation sexuelle sans orgasme.
« Ce n'est pas mon cas, parfois j'ai un ou plusieurs orgasmes, parfois je me sens bien sensuellement et ça me va. Au fond, je plains mon amie d'être dans une obligation de résultats. Moi, j'accorde plus d'importance à la sensualité, à la complicité qu'à la recherche de l'orgasme. Il y a un côté déshumanisé dans cette conception de la sexualité qui me glace. »
Il faut distinguer le plaisir sensuel de l'orgasme. Le premier naît d'une satisfaction émotionnelle et physique diffuse, le second est le point "d'explosion" au sommet de l'excitation.
Les femmes et les hommes doivent comprendre qu'un orgasme peut être physiquement peu intense et émotionnellement peu satisfaisant, alors que la jouissance sensuelle, même si elle ne conduit pas à l’orgasme peut être satisfaisante. Ce qui explique l'obstination que certains mettent à trouver l'orgasme, au point même de douter l'avoir éprouvé, simplement parce que si physiquement ils ressentent ses effets libérateurs de tension, ils ne se sentent pas comblés pour autant.
Je me laisse surprendre
Caroline, 29 ans, estime qu'elle a lu trop de choses sur le plaisir. « J'ai fini par perdre ma spontanéité et par douter de ce que je ressentais. Je voulais à tout prix éprouver un orgasme par pénétration à chaque fois, alors qu'ils sont plus difficiles pour moi à atteindre que les orgasmes par stimulation clitoridienne. J'étais stressée et stressante pour mon partenaire. Maintenant, je laisse plus venir les choses, je fais plus confiance à mon feeling. Je préfère faire l'amour sans feuille de route et me laisser surprendre. L’orgasme est encore meilleur quand il vient par surprise. »
Dans le vaste champ du plaisir, les questions les plus nombreuses tournent autour de "comment savoir si ce que je ressens est normal ?" Autrement dit, comment puis-je savoir si j'ai ou non un orgasme, s'il est vaginal ou clitoridien, s'il est intense ou non, et si c'est grave quand je n'en ai pas mais que je vis ça bien...
Je me détends pour prendre du plaisir
Si on se demande si on a eu ou non un orgasme, c’est que l'on n'en a pas eu ! La sensation de l'orgasme est une onde de plaisir, plus ou moins localisée, accompagnée d'un relâchement de la tension due à l'excitation. Et ce, qu'il soit par pénétration ou non. À ce propos, la question des deux natures de l'orgasme, « clitoridien ou vaginal » continue à mobiliser la curiosité de l'immense majorité des femmes.
Dans les 2 cas le plaisir vaginal chez la femme passe par le clitoris. Ce qui change c’est la manière de le stimuler. Selon les femme ce n’est pas la même, certaine préfère une stimulation par pénétration et d’autre préfère une stimulation "externe".
Pour la sexologue, ce qui est préjudiciable, en revanche, c'est de hiérarchiser les plaisirs. Il n'y a pas le Grand orgasme ni l'orgasme de secours. Les sexologues sont unanimes : les orgasmes par pénétration exigent de la part de la femme une certaine détente du corps et de l'esprit en même temps qu'une bonne connaissance de son corps.
Julie, 34 ans, avoue avoir connu son premier orgasme par pénétration avec un sextoy. « J'ai pu choisir le rythme qui me convenait. Après, je me suis sentie beaucoup plus sûre de moi car j'avais la preuve que je n'étais pas "vaginalement frigide". Cela dit, si je n'ai pas d'orgasme à chaque fois, ce n’est pas grave, je me "rattrape" avec les caresses de mon compagnon. »
J’accepte de perdre le contrôle
Si de nombreuses femmes disent ne pas avoir d'orgasmes, c'est souvent parce que contrairement à ce que l'on croit, la jouissance fait peur. La peur de perdre le contrôle est tel, surtout dans notre culture de la maîtrise, que dès que les sensations s'intensifient, beaucoup admettent qu’elles se bloquent, comme si elles fermaient des vannes pour ne pas être aspirées.
Seule une bonne connaissance de son corps, de ses désirs et déplaisirs permet de se sentir sexuellement comblée.
À l'inverse, Marie, 33 ans, n'atteint pas toujours l'orgasme, mais recherche les positions et les scénarios qui vont lui procurer l'excitation la plus forte. « C'est bien si l'orgasme vient, mais je préfère ressentir de la tension, de l'excitation et pas d'orgasme, plutôt qu'avoir un orgasme à la suite d'un rapport plus "pépère" ».
J’oublie l'orgasme pour mieux l’atteindre
Le plaisir est avant tout affaire d'inconscient, de sensibilité et de singularité. Seule une sexualité sans contrainte ni souci de la norme peut être satisfaisante. En se laissant aller à ses sensations, à ses fantasmes, en rencontrant l'autre dans sa singularité, on devient créatif et sensuel.
« Quand j'ai vraiment osé me "lâcher" avec un homme que je venais de rencontrer, j'ai vraiment connu le plaisir, pour la première fois de ma vie, dit Laura, 32 ans. Avant, j'avais toujours peur de passer pour une fille facile. »
Peur d'être jugée, désir émoussé par la routine, inhibitions qui empêchent de guider l'autre... Le chemin qui mène à l'orgasme est semé d'embûches. Plus on sait prendre en charge son corps, ses sensations et son désir, plus la rencontre avec l'autre est facilitée et plus le plaisir a des chances d'être au rendez-vous.
Mais il ne faut pas oublier que plus on est "fixé" sur l'orgasme, plus il est difficile à atteindre. Sans doute parce que le plaisir est plus fort quand il arrive comme une surprise.
Comment ça marche un orgasme ?
Aux premiers stades de l'excitation, les veines du pubis, de la vulve et du clitoris se dilatent, augmentant le volume des organes génitaux.
Le gland du clitoris peut doubler de diamètre et émerger du capuchon. Il faut en général au moins une vingtaine de minutes de stimulations diverses pour que l'excitation soit réelle et enclenche le processus de lubrification du vagin.
Sous l'effet de l'excitation, les muscles du corps se contractent, la respiration s'accélère. À l'approche de l'orgasme, le clitoris se rétracte. Au moment de l'orgasme, le rythme cardiaque devient plus rapide, la femme ressent entre 3 et 15 spasmes qui deviennent de moins en moins intenses. Ces contractions libèrent du sang qui vont du vagin à l'utérus et au rectum. C'est pourquoi, au début de l'orgasme, la femme peut éprouver des vagues de plaisirs diffuses dans ces régions.
Il faut 5 à 10 minutes pour que le vagin dilaté retrouve sa forme habituelle. Le relâchement de la tension musculaire peut susciter des sensations qui vont du bien-être euphorique à l'épuisement intense.
Témoignages
Clara, 38 ans « Je ne ressens pas toujours cette vague de fond qui me submerge »
Avec le temps, et l'expérience, je me suis rendu compte que je ne pouvais atteindre l'orgasme que dans la position dite d'Andromaque. C'est-à-dire quand je suis sur mon partenaire. Là, je peux influencer le rythme et la profondeur de pénétration, et donc avoir un vrai orgasme.
Dans cette position, c'est comme si les "deux orgasmes" ne faisaient plus qu'un. Mais comme tous les hommes n'apprécient pas cette position, je n'ai pas d'orgasmes chaque fois que je fais l'amour. Je ressens du plaisir, de l'excitation mais pas cette vague de fond qui me submerge.
Célia, 29 ans « Je n’ai jamais connu l'orgasme »
Je ne l'ai jamais dit à mes partenaires car je simule le plaisir pendant la pénétration, mais je n'ai jamais connu l'orgasme par pénétration. J'ai lu des dizaines de descriptions de cette sensation, je ne l'ai jamais ressentie et cela me frustre et me complexe. C’est comme si je n'étais pas encore une "vraie femme" sur le plan sexuel.
Je n'ai pas eu beaucoup de partenaires, cinq en tout. Peut-être faudrait-il que je rencontre un homme expérimenté très sensuel, qui saurait prendre son temps car je suis assez anxieuse et nerveuse de nature.
Isabelle, 57 ans « Je suis plus sensible à la volupté »
Je suis une sensuelle, j'aime la bonne chère, le bon vin, et j'adore faire l'amour. Avec les années, dans tous les domaines, mes goûts se sont raffinés. Avec mon compagnon, je suis désormais plus sensible à la volupté. Ce qui concrètement veut dire, des massages sensuels, des échanges de mots et de regards troublants, des caresses raffinées... Ce qui me comble aujourd'hui, c'est une ambiance érotique et complice plus que l'orgasme.
Mon compagnon, qui a dix ans de plus que moi, n'a plus la même vigueur qu'autrefois. La pénétration est moins fréquente, mais je ne me sens pas frustrée pour autant. Bien au contraire, je me sens désirée, regardée avec amour, touchée avec intelligence et tendresse. Je pense que j'ai atteint une forme de maturité sexuelle qui est débarrassée de l'obligation de jouir, comme on l'est à 20 ou 30 ans. C'est une vraie liberté.
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