Mélatonine : zoom sur cette hormone convoitée pas si miraculeuse

Mélatonine
Tout est parti d’une hormone, bien connue des hommes d’affaires, qui permet de prévenir les effets du décalage horaire. La presse, l’opinion s’étant emparées de cette « mine », la mélatonine est devenue l’arme contre le vieillissement, le cancer et pourquoi pas le sida. Que faut-il en penser ?

La mélatonine, l'hormone star

Après le Prozac, l'Amérique adopte la "mélatonine". Les livres qui y sont consacrés sont autant de "best-sellers", les médias n'ont de cesse d'en parler... Ils s'arrachent cette pilule censée leur apporter des jours meilleurs ! Mais que promet-elle ? À peu près tout. Non seulement elle neutralise le stress, combat les virus et les bactéries, améliore la qualité du sommeil, atténue les troubles dus au décalage horaire, réduit les risques de maladies cardiovasculaires et régule les rythmes biologiques, mais il est possible qu'elle contribue à la prévention du cancer et participe à la détermination de notre espérance de vie.

Et tout cela n'est même pas ruineux : Avec 10 euros, on peut acheter un flacon contenant 60 comprimés ! En plus, elle est facile à acquérir puisqu'elle est vendue en pharmacie ou même en supermarché !

Alors, aujourd'hui, que penser de cet engouement ? Que sait-on réellement des pouvoirs de cette substance ? Il faut remonter 2 générations en arrière...

Les origines de la découverte de cette hormone

En 1958, un dermatologue du nom d'Aaron Lerner recherchait l'origine d'une maladie de peau, appelée vitiligo, qui entraîne un éclaircissement de la peau.

Ayant déjà découvert l'hormone qui brunit la peau, il cherchait donc celle qui l'éclaircit, pensant qu'une sécrétion anormale de cette hormone pouvait être la cause de cette maladie. Et c'est en fouillant dans la littérature scientifique qu'il tomba sur un article de 1917 dans lequel l'auteur évoquait le rôle de l'épiphyse (petite glande située dans le cerveau) comme productrice d'une hormone blanchissant la peau.

Il parvint à trouver la formule de cette hormone, qui se révéla très vite être la plus puissante qu'il ait jamais testée : Il la baptisa mélatonine (méla, parce qu'elle éclaircit les cellules qui produisent le pigment de la mélanine, et tonine car elle est issue de la sérotonine). Mais elle le déçut bien vite, car si, testée sur des animaux, elle parvint bien à blanchir la peau... des grenouilles, injectée à des hommes souffrant de maladies de peau, elle resta sans effet !

Elle cessa alors d'intéresser longtemps les chercheurs... mais pas l'armée américaine. En effet, l'étape suivante se passa dans les services médicaux de cette dernière où un chercheur civil, le Dr Hoffman, était chargé de découvrir le moyen de placer les futurs astronautes en état de vie ralentie. En clair, l'idée était de comprendre puis d'appliquer aux hommes ce qui déclenchait l'hibernation chez les animaux.

La mélatonine : de l'hibernation au sommeil

Il était logique de penser que, puisque cette hormone provoquait l'hibernation, elle pouvait engendrer le sommeil. D'où les essais réalisés sur des volontaires - humains - (ce point est important et mérite d'être souligné, on verra après pourquoi).

Une des études les plus complètes fut faite, en 1970, par un chercheur mexicain, Ferdinando Anton-Tay. En injectant de la mélatonine à des volontaires, il constata que cette hormone avait des effets inverses à ceux de l'adrénaline (hormone souvent appelée "du stress"). En effet, la mélatonine ralentit le rythme cardiaque, relâche les muscles et favorise le sommeil.

Une autre apporte la preuve d'une amélioration de la qualité du sommeil de mauvais dormeurs âgés en moyenne de 76 ans. Ces sujets présentaient des altérations de sécrétion de cette hormone et, après plusieurs semaines de traitement, ils ont constaté une réduction du nombre et de la durée de leurs éveils nocturnes.

Autre rôle pour cette hormone qui en fait incontestablement le succès, elle lutte contre les effets du "jet-lag", le fameux décalage horaire. Des études faites auprès du personnel navigant de compagnies aériennes ont effectivement prouvé l'efficacité de la mélatonine pour "recaler" le sommeil. Elle est déjà largement utilisée par les hôtesses de l'air et les hommes d'affaires, selon un protocole très précis (une prise le jour du départ puis les deux ou trois jours suivants). Mais à quoi sont dues ces actions ?

La mélatonine : une hormone naturelle

La mélatonine est donc sécrétée par une petite glande de notre cerveau, l'épiphyse ou glande pinéale. On a, en fait, longtemps pensé que cette glande, à la différence de l'hypophyse (qui sécrète de nombreuses hormones dont l'hormone de croissance), ne servait à rien, qu'elle n'était qu'un reliquat du stade embryonnaire. Une hormone produite par elle ne pouvait qu'être sans importance. Mais une meilleure connaissance du rythme de sécrétion de cette hormone apporta la preuve de son rôle essentiel.

En effet, la sécrétion est maximale la nuit et en hiver (logique, elle dépend de la quantité de lumière perçue par nos yeux) ; ainsi, la lumière fait chuter cette sécrétion tandis que l'obscurité la multiplie par dix. Elle gère donc le rythme veille-sommeil, d'où son efficacité sur le sommeil et les troubles liés au décalage horaire. Bien plus, elle serait notre horloge interne, synchronisant la plupart de nos fonctions biologiques par rapport aux heures et aux saisons.

Mais une autre découverte, qui allait générer d'immenses espoirs, fut que la sécrétion de la mélatonine décroit au cours de la vie, et particulièrement le fait qu'elle diminue avec l'âge. Ainsi pour ceux d'entre nous qui ont depuis longtemps quitté l'adolescence, il est beaucoup plus important de savoir que la diminution de la mélatonine peut aussi déclencher la sénescence.

D'où l'idée qu'un apport supplémentaire en cette hormone pourrait nous éviter ce vieillissement. Diverses expériences furent menées, l'une d'elles est relatée dans le livre du Dr Walter Pierpaoli : Il utilisa des souris mâles âgées de 19 mois (leur espérance de vie est d'environ 24 mois). Elles furent divisées en deux groupes : La moitié des souris était abreuvée d'eau, l'autre moitié recevait de l'eau enrichie de mélatonine. Au bout de cinq mois, la différence entre les deux groupes était saisissante ; le groupe non traité vieillissait, les souris perdaient leur poil, du muscle, souffraient de troubles digestifs, de cataracte...

Celles du groupe traité avaient le poil riche et brillant, les yeux clairs, sans cataracte, la digestion aisée et le muscle tonique, de vrais gamins ! Les souris âgées ressemblaient à leurs arrière-petits-enfants ! Et comment cela se termina-t-il ? Les souris qui étaient uniquement à l'eau moururent à 24 mois, les autres six mois plus tard, ce qui en fait à l'échelle humaine de grandes centenaires !

Des hommes, bien sûr, voulurent l'essayer. Ils prirent même un cocktail, car cette hormone n'est pas la seule dont la sécrétion diminue au cours de la vie ; s'affaiblissent aussi la testostérone, l'hormone de croissance et la DHEA (dihydroépiandrostérone) précurseur des hormones sexuelles. Forts de cette constatation, des médecins américains n'hésitèrent donc pas à adopter, moyennant 1 250 dollars, un "régime hormonal" mis au point par un autre médecin dans un centre anti-vieillissement de Palm Springs en Californie.

Le traitement reposait sur la prise de testostérone, de mélatonine, d'hormone thyroïdienne et de croissance. Mais on ne connaîtra jamais l'efficacité de cette potion puisque plusieurs patients durent l'interrompre pour cause d'effets secondaires, et pas des moindres : diabète, arthrite sévère, hypertension artérielle !

Cependant, d'autres éléments, en particulier son pouvoir antioxydant, firent tout de même penser aux chercheurs qu'ils étaient bel et bien tombés sur l'hormone de la sénescence.

La mélatonine contre les radicaux libres

Ces molécules réactives n'auraient de cesse de "bombarder" nos pauvres cellules pour les endommager ; effectivement, ces éléments altèrent le patrimoine génétique contenu dans le noyau des cellules. Il est vrai que ces radicaux ont été mis en cause dans de très nombreuses maladies dégénératives, tels l'athérosclérose, la cataracte, la maladie d'Alzheimer, mais aussi le cancer. Il avait déjà été découvert que certaines vitamines, la E et la C, venaient s'opposer à ces radicaux, d'où leur effet "anti-radicalaire" connu.

Mais la mélatonine serait un antiradicalaire plus puissant que tous les autres. Et, de ce fait, la liste des effets de la mélatonine qui pourraient découler de cette propriété est pour le moins stupéfiante. Ainsi, la mélatonine : évite l'oxydation du cholestérol LDL, le "mauvais" cholestérol qui obstrue les artères. Dans le cerveau, elle protège nos irremplaçables neurones contre les attaques portées par les radicaux libres.

Dans le fluide de l'œil, elle empêche ces derniers de former la cataracte. Sur la paroi des intestins, elle réduit le risque d'ulcère. Ajoutons à cette énumération la possibilité de protéger contre le cancer. Alors, faut-il émettre quelques réserves ? Oui.

Une hormone magique ? Encore une hypothèse

Ces réserves ne portent pas sur l'intérêt théorique que représente la mélatonine. Des chercheurs français qui travaillent depuis vingt ans sur cette hormone sont très clairs sur ce sujet. C’est une hormone extrêmement intéressante, qui joue un rôle crucial dans la régulation des rythmes biologiques.

Mais aller affirmer qu'elle permet de ne pas vieillir ou d'éviter le cancer, cela reste des spéculations un peu ridicules et hasardeuses. Pourquoi ? Parce que dans l'état actuel de la recherche, rien ne permet d'avancer des affirmations aussi catégoriques.

La situation est claire : En fait, seul l'effet de la mélatonine sur le sommeil et le décalage horaire a été prouvé chez l'homme (mettons à part certaines études au long cours qui tentent de mettre en évidence une action sur la reproduction). Toutes les autres propriétés vantées de cette hormone, en particulier l'action sur le système immunitaire, le cancer et le vieillissement, sont le fruit d'expériences faites en éprouvette ou sur des animaux.

Les seules expériences humaines sont isolées et anecdotiques. On n'a donc honnêtement pas de preuve et toutes ces vertus énoncées sont autant d'extrapolations à partir d'expériences cellulaires ou animales, expériences d'ailleurs souvent menées chez des rongeurs qui sont des animaux nocturnes, ce qui crée une énorme différence. Ainsi, lorsque l'on remonte dans le temps, jusqu'à la découverte de cette hormone, on constate que ce qui marchait chez l'animal (blanchiment des poils) ne s'appliquait déjà pas à l'homme.

On identifie au fur et à mesure des récepteurs autres que cérébraux ; la mélatonine agirait, en effet, sur le rein, le pancréas, l'utérus, d'où la tentative de mettre au point des dérivés de l'hormone ayant des actions ciblées selon l'organe. Notre propos n'est donc pas de contester les découvertes - certaines sont passionnantes (le rôle de l'hormone dans le système immunitaire, contre les radicaux libres...) -, mais il est de savoir ce que l'on a prouvé en réalité (certaines extensions possibles ne sont que vue de l'esprit) et ce qui marche, preuves à l'appui, chez l'homme.

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