1. La goutte sévit encore
On l'oublie souvent... Et pourtant la goutte sévit encore. Il est vrai que ses formes les plus évoluées ont pratiquement disparu grâce aux progrès de la thérapeutique.
Les hommes sont de loin les plus exposés à la terrible crise de goutte. Mais rassurez-vous, messieurs, on la soigne maintenant très bien.
Mieux encore, grâce à des médicaments efficaces et une bonne hygiène de vie, vous pourrez complètement l'éviter.
2. Qu'est-ce que la goutte ?
Elle fait partie de ce que l'on appelle les maladies métaboliques, mais on la décrit souvent parmi les rhumatismes, car elle se manifeste surtout par des atteintes articulaires, extrêmement douloureuses au niveau du gros orteil. On la connaît depuis fort longtemps. Les Grecs anciens l'appelaient "podagre" (qui signifie "piège dans lequel l'animal est pris par le pied"), car on a vraiment la sensation atroce d'avoir le pied broyé au moment de ses attaques.
C'est au Moyen Age qu'on lui donne le nom de "goutte". On pensait que la maladie était due à un flux "d'humeur viciée", venant de la tête et s'écoulant goutte à goutte vers les pieds où elle stagnait, ne trouvant pas d'issue... Depuis, ce terme pas vraiment scientifique est resté.
3.Quelle en est la cause ?
Il faut attendre le siècle dernier pour démasquer le vrai coupable. Il s'agit de l'acide urique, une substance qui se trouve dans le sang. Il est formé de façon normale par l'organisme après dégradation de certaines protéines présentes dans nos cellules ou apportées par l'alimentation, notamment par les viandes. Une grande partie est éliminée chaque jour dans les urines.
Mais certains d'entre nous en fabriquent trop ou l'éliminent de façon insuffisante. Lorsque sa concentration dans le sang devient anormalement élevée - on parle d'hyperuricémie -, cet acide urique en excès se dépose dans les articulations, au niveau des extrémités. Au moment des épisodes aigus, on peut d'ailleurs observer, à l'intérieur même de l'articulation, la présence de microcristaux d'acide urique qui ont la forme de minuscules aiguilles.
Dans la goutte évoluée, que l'on rencontre de moins en moins, ces cristaux peuvent aussi se déposer sous la peau, au niveau du pavillon de l'oreille, du pied, des doigts ou du coude. Ils forment des petites boules appelées "tophi", bien visibles sous la peau et remplies d'une substance blanchâtre qui ressemble à de la craie.
4. Qui est concerné par les crises de goutte ?
C'est une pathologie masculine à plus de 90 %. Chez l'homme, elle peut apparaître à tout âge après la puberté, mais elle est plus fréquente entre 45 et 55 ans. La femme, quant à elle, semble préservée, tout au moins jusqu'à la ménopause.
On sait aussi qu'il existe un facteur génétique. Il y a des familles de goutteux où l'on observe une prédisposition particulière à fabriquer plus d'acide urique que la normale. Mais, fort heureusement, toutes les personnes qui ont une hyperuricémie ne feront pas de crises.
D'autres facteurs interviennent, comme l'excès alimentaire qui est un facteur favorisant classique. On se représente d'ailleurs le goutteux comme un bon vivant, un peu trop enveloppé, gros mangeur et amateur de bon vin. Et, autrefois, la maladie sévissait surtout dans les milieux bourgeois ou aristocratiques, où la table était abondante.
On constate aussi - et c'est un phénomène relativement nouveau - l'apparition de crises goutteuses provoquées par l'utilisation prolongée de certains médicaments (diurétiques, médicaments de l'hypertension artérielle, anticancéreux, etc.) qui agissent sur les reins et perturbent l'excrétion de l'acide urique. Ces gouttes médicamenteuses sont de plus en plus fréquentes, aussi bien chez la femme que chez l'homme.
5. Comment se manifeste-t-elle ?
Par des crises, ou encore "accès", généralement localisées au niveau de la racine d'un des deux gros orteils. Les autres articulations du pied, le genou ou la main sont quelquefois atteints.
La crise peut survenir spontanément. Mais en fait, lorsque le médecin interroge son patient, il retrouve, dans la moitié des cas, un élément déclenchant, comme un repas trop arrosé, un stress, une intervention chirurgicale, un traumatisme ou encore une grippe, une angine...
La crise peut prendre par surprise. Mais avec le temps, on reconnaît les signes avant-coureurs : malaise, frissons, troubles digestifs, fourmillements. L'accès se manifeste de façon très brutale, au beau milieu de la nuit, pour s'atténuer lorsque le matin arrive.
La précipitation des microcristaux dans l'articulation va entraîner une réaction inflammatoire qui se traduit par des douleurs très violentes et une sensation de chaleur intense. L'orteil est gonflé, dur, luisant, semblable à un abcès. Il est tellement sensible que même le contact du drap est intolérable. La peau devient vite rouge pivoine, puis, après l'attaque, elle desquame comme une pelure d'oignon.
Bien traitée la crise ne dure, en général, que quelques jours, alors qu'autrefois les goutteux étaient cloués au lit pendant près de trois semaines. Ensuite, tout rentre dans l'ordre.
Mais si le malade n'est pas pris en charge sérieusement, la goutte s'aggrave progressivement. Les accès deviennent de plus en plus fréquents, et chacun d'eux a une durée de plus en plus prolongée. Plusieurs articulations sont atteintes en même temps. Puis les cristaux d'acide urique s'installent, créant une inflammation chronique qui, peu à peu, détruit les articulations.
La maladie peut aussi toucher les reins. Là encore, les micro-cristaux s'accumulent et forment des calculs qui vont provoquer des crises de coliques néphrétiques.
6. Peut-on traiter la goutte ?
On est loin des purgatifs, lavements, sangsues et autres saignées auxquels étaient soumis nos ancêtres. On est encore plus loin des remèdes peu ragoûtants qu'on appliquait sur le pied chair de vipère, cendres de vers de terre, etc. On a tout essayé !
Le fatalisme des médecins du siècle dernier est oublié. Ils avaient bien du mal à soulager leurs patients à grand renfort de poudre d'opium et surtout à empêcher l'évolution de la maladie vers une complète impotence.
La goutte était alors considérée comme une maladie incurable. Mais la médecine a fait dans ce domaine de très grands progrès. Le traitement de la crise repose d'abord sur la prise de comprimés de colchicine, alcaloïde extrait des graines d'une plante des prés bien connue, le colchique d'automne. Utilisée depuis l'empire byzantin sous forme de préparations diverses de feuilles, bulbes ou graines, la colchicine reste encore, aujourd'hui, le traitement de base de l'accès goutteux.
Les anti-inflammatoires dits "non stéroïdiens" ont aussi un effet spectaculaire sur la douleur et le gonflement de l'articulation. Le médecin traitant choisira le produit le plus adapté en fonction de ses éventuels inconvénients et contre-indications. Il faut savoir que pour soulager efficacement le malade, pour raccourcir la durée de l'attaque de goutte, mais aussi pour empêcher les récidives, il est très important de commencer le traitement le plus tôt possible. Sachez donc qu'il faut consulter dès l'apparition des premiers symptômes.
Mais si ces produits sont très efficaces sur la crise, il est encore préférable d'empêcher son apparition. On doit alors s'attaquer à la cause : l'excès d'acide urique sanguin. Nous disposons, depuis vingt ans, de produits capables de normaliser son taux dans le sang, soit en favorisant son élimination rénale, soit en bloquant sa formation. On les donne en continu, sous surveillance médicale et biologique régulière. Et dans les formes les plus sévères, un traitement à vie est même indispensable.
7. Faut-il suivre un régime particulier ?
Le régime draconien préconisé il y a de nombreuses années n'est plus nécessaire. Il faut cependant respecter quelques règles simples :
- Perdre du poids en cas de surcharge pondérale.
- Boire abondamment ; deux litres d'eau par jour ou plus (certaines eaux minérales de type alcalin ont un effet bénéfique sur l'hyperuricémie). On favorise ainsi l'élimination de l'acide urique.
- Limiter la consommation d'alcool qui stimule sa formation. Certains vins seraient plus "mauvais" que d'autres : le Bourgogne, les blancs, le Champagne ou le porto.
Si les traitements médicamenteux actuels permettent aux goutteux de faire quelques écarts de régime - qui, autrefois, leur étaient interdits -, il est toujours prudent, si les accès sont fréquents, de réduire la consommation des aliments favorisant la formation d'acide urique.
Ce sont surtout les viandes (viandes blanches, abats, gibier...), certains légumes (épinards, oseille, asperge...) ou même le chocolat. Certains ont constaté qu'un aliment particulier provoquait invariablement une crise. Si c'est votre cas, évitez surtout de renouveler l'expérience !
Enfin, il n'est pas interdit d'avoir une activité physique si elle est régulière et modérée. Mais attention, les efforts violents et les sports intensifs peuvent provoquer une augmentation brutale du taux d'acide urique sanguin !
Alors si vous souffrez de la goutte, ayez une bonne hygiène de vie, mangez et buvez raisonnablement. Suivez rigoureusement les traitements qui ont été prescrits par votre médecin, sans les interrompre ou en modifier les doses de votre propre chef. Les attaques insupportables que vous avez déjà connues ne seront plus qu'un mauvais souvenir !
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