Six heures du matin. Nous sommes dans l'une des deux chambres du laboratoire du sommeil, à l'hôpital Lariboisière (Paris).
Caroline, 38 ans, vient de passer une nuit entière au centre de sommeil. « J'aimerais vraiment savoir pourquoi je dors mal la nuit alors que j'ai des coups de barre irrésistibles dans la journée, où je m'endors sans même m'en rendre compte. Je n'ose même plus conduire et cela m'empêche d'être pleinement efficace dans mes activités. Pourtant, mon cerveau a besoin d'être en permanence aï maximum de ses capacités. » Et pour cause, Caroline est informaticienne.
Toute la nuit, durant huit heures en continu, l'activité de son cerveau, la cadence de sa respiration et l'intensité de ses mouvements n'ont pas échappé à l'enregistrement de son sommeil. L'examen s'appelle une polysomnographie
La tête recouverte d'électrodes
« Comme d'habitude, j'ai passé de longs moments éveillée dans le noir, en me retournant sans cesse dans l'espoir de trouver enfin le sommeil », explique la patiente, la tête recouverte d'électrodes qui, assure-t-elle, ne sont pas très gênantes. « Je me suis sentie bizarre au début, mais je m'y suis vite habituée, et ces électrodes ne sont pas responsables de mes troubles du sommeil. »
Objectivement, elles n'empêchent pas de bouger, et rien n'est douloureux. Pourtant, le dispositif paraît impressionnant. Il faut compter une heure pour poser tous les capteurs qui sont maintenus à l'aide de sparadrap.
Ces électrodes, reliées à un dispositif d'amplification, recueillent l'activité électrique émise par le cerveau. Mais ce n'est pas tout ! D'autres sont placées au coin des yeux pour capter leurs mouvements. Quelques-unes sont appliquées sur le thorax, l'abdomen et les jambes, afin d'enregistrer tout changement de position. Le tonus musculaire est aussi mesuré au niveau du menton. Et un électrocardiogramme est pratiqué pendant les huit heures d'enregistrement.
Également étudiée, la respiration, à l'aide de capteurs mesurant le flux d'air au niveau des narines et quantifiant la saturation en oxygène au niveau des doigts. Parfois, un micro enregistre les ronflements.
Ils attachent beaucoup d'importance aux paramètres de la respiration car ils sont essentiels pour le diagnostic des troubles respiratoires survenant au cours du sommeil, comme le syndrome de l'apnée du sommeil.
On enregistre les micro-éveils
Toutes les données sont stockées dans un ordinateur, soit l'équivalent de 1 200 pages de 30 secondes chacune.
Pas moins de 500 mètres de papier que le spécialiste met plus de deux heures à interpréter ! Les tracés reflètent parfaitement la qualité et la quantité de sommeil. On peut avoir l'impression de passer des nuits courtes ou mauvaises, alors que le sommeil est tout à fait normal. A l'inverse, certaines personnes disent dormir comme un bébé et se réveillent en fait très fréquemment.
« Nous recherchons toujours la présence d'une fragmentation du sommeil, soit des micro-éveils de trois à vingt secondes totalement imperceptibles mais se répercutant sur la qualité de la vigilance en cours de journée », précise le Pr Goldman, spécialiste du sommeil. Ces micro-éveils terminent systématiquement chaque apnée du sommeil, mais peuvent être aussi attribués à des mouvements périodiques nocturnes (syndrome des jambes sans repos) ou à des douleurs chroniques (rhumatismes, fibromyalgie...).
Des tests d'endormissement et de vigilance
L'équipe soignante décide aussi d'observer le comportement de Caroline dans la journée pour évaluer sa somnolence et détecter des troubles spécifiques comme la narcolepsie (forme particulière d'hypersomnie).
Toujours équipée de ses électrodes, elle est allongée sur un lit, dans une pièce calme et obscure. Toutes les conditions sont réunies pour qu'elle s'endorme facilement. Dans une salle attenante, l'infirmière surveille sur l'écran de l'ordinateur l'activité de son cerveau, de ses yeux et de ses muscles. Cette sieste "forcée" est répétée à quatre reprises et interrompue au bout de quinze minutes.
Caroline n'aura résisté qu'une seule fois à cette invitation au sommeil.
Objectif de cet examen ? Évaluer la rapidité d'endormissement en cours de journée et diagnostiquer la narcolepsie.
Dans ce cas, l'endormissement survient très rapidement, ainsi que la phase de sommeil paradoxal.
Au vu des tracés de l'ordinateur, la patiente souffre bien de narcolepsie. Tout s'explique : les endormissements incontrôlables dans la journée, et le sommeil perturbé accompagnant souvent la maladie.
Autre signe typique : la perte momentanée du tonus musculaire (cataplexie suite à une émotion) peu prononcée chez Caroline, qui se plaint parfois de ne plus avoir de force dans les jambes. Enfin, elle va pouvoir suivre un traitement adapté ! Les spécialistes hospitaliers lui prescrivent un médicament qui aide à stimuler la vigilance.
Cette molécule récente remplace les amphétamines qui étaient avant l'unique solution pour soigner la narcolepsie.
Au début, les personnes sont suivies régulièrement (tous les trois à quatre mois), de façon à pouvoir modifier le dosage si nécessaire. Le médecin expliquera aussi à Caroline qu'elle pourra faire, si elle le souhaite, des sommes dans la journée.
D'ici quelques mois, elle devra revenir une journée au centre du sommeil pour passer des tests de maintien de la veille, destinés à vérifier l'efficacité du traitement. Cette fois, pas question de céder aux envies de sommeil. Elle devra résister, à quatre ou cinq reprises, à l'appel du sommeil malgré une ambiance sombre et paisible. Si elle y parvient, c'est la preuve que le traitement lui convient et elle pourra le poursuivre.
Et si les examens sont normaux ?
Les tests ne révèlent parfois aucune anomalie du sommeil. Tant mieux I
Mais il reste à adopter un rythme de vie régulier. Le temps accordé au sommeil varie en fonction de chacun : ne restez pas huit heures au lit, alors que six heures de repos vous suffisent amplement.
À savoir : Une somnolence en cours de journée malgré des nuits irréprochables peut provenir d'une dépression. En effet, 10 % des personnes déprimées présentent une hypersomnie, en relation avec leur manque d'énergie. Dans ce cas, la solution passe par un traitement antidépresseur adapté et une psychothérapie.
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