Quand l'arrêt du tabac devient une nécessité
Cancers des voies aéro-digestives supérieures, des bronches ou de la vessie, maladies vasculaires ou cardiovasculaires, insuffisance respiratoire progressive, tout grand fumeur risque un jour d'être victime d'une maladie grave liée au tabac. À ce moment-là, l'arrêt de la consommation tabagique devient une nécessité.
La liste des bénéfices du sevrage est longue : allongement de la durée de rémission chez les personnes atteintes d'un cancer pulmonaire ou laryngé, moins de risque de récidive chez les cardiaques, amélioration de la fonction pulmonaire des insuffisants respiratoires...
Un renoncement au tabac difficile malgré une maladie grave
Et pourtant, rien ne décourage « l'accro » au tabac, pas même la réalité d'une maladie grave. On aurait pu croire que, confronté à cette épreuve, il renoncerait à son habitude, mais il n'en est rien.
Bien sûr, si l'accident a entraîné une hospitalisation d’urgence ou une intervention, les fumeurs arrêtent leur consommation, mais juste temporairement. Le fait est que seule la moitié d'entre eux environ, en majorité des victimes d'un infarctus du myocarde, arrêtent définitivement, les autres reprennent la cigarette dans les semaines ou les mois qui suivent la sortie de l'hôpital.
Une attitude que les tabacologues relient à une dépendance physique importante, avec son cortège de symptômes désagréables, notamment le manque à l'arrêt.
Au bout d'un moment, tout se passe comme si les pensées se modifiaient progressivement entraînant une baisse de la motivation. La peur de la maladie s'éloigne à mesure que le temps passe, faisant place aux agréments de la cigarette.
Les risques semblent lointains : le fumeur malade relativise
Concrètement, 5 à 10 % des personnes qui frappent à la porte d'un centre d'aide au sevrage tabagique doivent impérativement arrêter pour raisons de santé. Pour les sujets atteints d'insuffisance respiratoire chronique, par exemple, arrêter de fumer est même impératif. Car s'ils continuent, la maladie s'aggrave inévitablement vers une issue fatale. Mais la peur est lointaine. Il faut bien souvent des complications pulmonaires aiguës pour que le fumeur s'arrête.
Combien d'ex-fumeurs sont-ils surpris la cigarette à la bouche dans des centres de réadaptation respiratoire ! Une étude américaine menée pendant cinq ans a montré que l'arrêt du tabac était plus facile chez les malades pulmonaires aidés, notamment par des gommes à la nicotine (22 % contre 5 %), et que les fumeurs sevrés avaient une amélioration nette de leur maladie respiratoire. Pourtant, près de quatre fumeurs atteints d'insuffisance respiratoire sur cinq n'arrêtent pas, et ce malgré une parfaite connaissance des risques. Pourquoi ?
Recherche motivation désespérément
On le sait, sans motivation, le combat est vain. Mais paradoxalement, la motivation liée à une maladie déjà présente n'est pas la meilleure. Pour preuve ce témoignage d’un médecin : « J'ai vu récemment un homme de 50 ans atteint d'un cancer du plancher de la bouche, déjà opéré deux fois, qui n'a pas réussi à arrêter. De même, des gens qui souffrent d'artérite des membres inférieurs, chez lesquels il est obligatoire d'arrêter, ont beaucoup de mal. »
Saturation salutaire
En réalité, il s'avère qu'il n'y a rien de tel pour stopper que la saturation. Après 15, 20, voire 30 ans de tabagie, le fumeur "rassasié" décide d'arrêter avant qu'il ne soit trop tard. En revanche, une fois la maladie installée, autant profiter de ce qui fait encore plaisir, se dit "l'accro".
La prise en charge des fumeurs à risque n'est pas différente lorsque la maladie est déclarée. À l'hôpital Bichat, par exemple, elle est identique pour tous. Elle se déroule sous forme de psychothérapie de groupe. Une formule que les responsables jugent bénéfique : elle permet, en effet, une osmose entre les participants.
Pour les uns, la confrontation avec un "malade du tabac" peut renforcer les motivations. Pour les autres, les différents témoignages peuvent être source d'enseignement. "C'est important d'avoir un exemple négatif des méfaits du tabac dans un groupe, explique le Dr Franck Jourdan. C'est un exemple négatif, mais un exemple tout de même."
Suivez l'exemple !
Pour le malade souvent peu motivé, les motivations "positives" de fumeurs "bien portants" peuvent également être incitatives. Les résultats sont en effet meilleurs chez les personnes qui désirent se sevrer pour mieux respirer, mieux dormir, être moins fatigués...
Quel que soit son état de santé, le fumeur remplit un questionnaire, qui permet de cerner de manière assez fiable le type de tabagisme ainsi que le degré de dépendance. « Le test de Fagerstrôm permet d'établir la dépendance à la nicotine : un dosage de la carboxyhémoglobine permet d'avoir une idée de l'inhalation de nicotine », précise le Dr Jourdan.
En effet, le taux d'oxyde de carbone retrouvé dans le sang est fonction de l'importance de la bouffée. Il permet aux spécialistes d'évaluer le besoin en nicotine de chaque fumeur, ce qui permettra ensuite d'adapter au mieux le traitement. « À court terme, on a déjà une idée de l'importance du tabagisme. Important aussi : un test de dépendance comportementale complète le questionnaire (gestes et attitudes) », ajoute le spécialiste.
Lutter contre le découragement malgré la maladie grave
Toutes ces données sont ensuite examinées avec les fumeurs. En fonction du degré de dépendance, des besoins nicotiniques par 24 heures, un timbre à la nicotine est prescrit. Le dosage est adapté à chacun. « Un seul timbre, même au plus fort dosage, ne suffira pas à une personne qui fume par exemple deux paquets de blondes par jour. Il lui en faudra probablement deux. »
À l'hôpital Bichat l'équipe soignante comprend un médecin, une psychologue et une diététicienne. Les fumeurs déjà malades s'y rendent sur les conseils de divers organismes comme Tabac Info Service, la Ligue contre le cancer, le Comité national contre le tabagisme. Ils peuvent aussi être adressés à un centre de sevrage par le cardiologue, l'O.R.L. ou encore le pneumologue.
Accompagnement "psy" pour arrêter de fumer
« La psychologue s'entretient avec les patients avant la consultation, pour diagnostiquer chez eux une éventuelle dépression masquée, un syndrome anxieux... » indique le Dr Jourdan. En effet, la dépression est une cause majeure de tabagisme.
Certains fument parce qu'ils sont déprimés et le tabac permet alors une amélioration relative de leur dépression. Chez eux, si l'on suspecte une accentuation du trouble à l'arrêt du tabac, le sevrage est différé le temps de mettre en place un traitement antidépresseur.
Une fois le processus engagé, l'arrêt de la consommation doit être total. On sait combien tenter un sevrage et ne pas y arriver peut être décourageant. « Le tabac, qui est responsable de 75 000 morts par an, est une drogue dure. C'est une addiction importante qui résiste au temps. Une rechute est toujours possible. Sans compter que la dépendance comporte une composante génétique », souligne le Docteur. D'où l'extrême difficulté de l'entreprise.
La réussite de l'arrêt du tabac sous conditions
En pratique, il faut savoir que 50 % des sujets ne fument toujours pas six mois après l'arrêt. « À condition qu'ils reviennent régulièrement à la consultation, au sein du groupe, insiste le docteur Jourdan. Plus le suivi est long et régulier, meilleurs sont les résultats ».
Un problème à ne pas sous-estimer : celui de la prise de poids à l'arrêt. une éventualité qui est rendue responsable de bon nombre de rechutes. Or aujourd'hui, cela ne devrait plus être un problème, du moins insurmontable.
On grossit moins depuis qu'existent les traitements médicaux. L'apport de nicotine permet une limitation de la prise de poids à 2 ou 3 kg, liés essentiellement à des phénomènes comportementaux et de grignotage. Il est devenu rare d'observer des prises de poids de 10 à 15 kg. Lorsqu'on retire définitivement le timbre, l'organisme s'est habitué, il n'y a plus de prise de poids excessive.
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