« C'était l'horreur, et, le plus terrible, c'est que je n'avais pas mal. Je ne sentais rien. »
Gisèle, la cinquantaine passée, effectuait des mammographies tous les deux ans, selon les recommandations en cours. En août 2020, elle découvre de petits nodules à la base d'un sein et se précipite chez son gynécologue, qui la rassure aussitôt. Mais la radio de contrôle est sans pitié : « En voyant, en face de moi, la tête de la personne qui n'osait rien me dire, j'ai tout de suite compris. » À l'hôpital, c'est pire. Gisèle entend les médecins discuter entre eux, comme si elle n'existait pas.
L'image du tribunal lui vient à l'esprit : « J'avais l'impression qu'on me jugeait. » Le verdict tombe : « Il va falloir enlever le sein. »
Gisèle n'a pas l'impression d'être malade, pourtant elle va subir ce qu'elle appelle avec rage « une amputation ». « Non seulement la mastectomie est humiliante sur le plan esthétique, mais en plus on n'en sort pas guérie. A chaque contrôle, je tremblais, j'avais peur de rechuter. »
« J'avais de petits seins, je n'aurais jamais cru que j'y tenais autant. »
De son côté, Françoise n'a toujours pas encaissé le choc. Cette ancienne directrice de banque, qui met un point d'honneur à être toujours « impeccable », s'est sentie « écorchée vive ».
Lorsqu'on lui a annoncé la mauvaise nouvelle, elle a « fermé les écoutilles ». « Je n'arrivais plus à réfléchir. J'étais en rejet de ce découpage, de cette mutilation », explique-t-elle. Cette colère s'exprime dans chaque mot du recueil de poèmes qu'elle compte publier un jour, sous le titre évocateur : Le sein ouvert, écrits et cris sur le cancer.
« Je ne souhaitais prendre aucun risque, je voulais rester en vie : je n'ai pas eu d'états d'âme. »
Édith a vécu cette épreuve différemment. Elle n'emploie pas de termes aussi durs pour parler de la mastectomie qu'elle a subie à l'âge de 44 ans. Dans son entourage, plusieurs femmes sont décédées à la suite d'un cancer du sein. « La seule survivante avait eu une mastectomie », se souvient-elle.
Dans ce contexte, Édith était sans doute mieux préparée à entendre les explications du chirurgien. Quelques mois plus tard, un nodule douteux apparaît dans l'autre sein. Là encore, Edith n'hésite pas, elle accepte tout de suite la seconde mastectomie pour être débarrassée de l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête.
Déterminée à ne pas mourir, elle ne se laisse pas envahir par l'angoisse. « Je n'avais pas particulièrement "investi sur ma poitrine". Si j'avais été défigurée à la suite d'un accident de voiture, j'aurais sans doute été plus gênée. »
À l’annonce d’un cancer, chacun réagit à sa manière
Face à un choc aussi brutal que l'annonce d'un cancer, puis au second coup de massue que représente l'ablation d'un sein, les réactions ne sont jamais les mêmes. Il est impossible de donner une réaction-type. Chacune traverse cette épreuve à sa façon, avec des phases différentes. Des femmes auront avant tout peur de la mort, d'autres se focaliseront sur la perte d'un sein. Et puis il y a toutes celles qui oscillent entre les deux attitudes.
Cela dépend de l'investissement intime que constitue leur poitrine. Pour certaines, c'est un élément majeur de leur identité féminine. La vie intime en est complètement bouleversée. Édith se rappelle que, dans les premiers temps, elle n'osait plus se montrer nue devant son mari. Puis, peu à peu, le couple a retrouvé ses marques et la vie a repris son cours.
Gisèle, en revanche, a perdu l'aisance que lui conférait un corps qu'elle appréciait. « Avant, je me plaisais. Je trouvais que j'étais une belle femme, avec un beau décolleté. Je me sentais bien dans ma peau. » Séparée de son mari, elle n'envisage, pour le moment, aucune relation avec un autre homme. Elle se sent « bloquée ».
Certaines femmes se cachent pendant des mois ; elles font l'amour avec un tee-shirt, ferment la porte de la salle de bains à clé. D'autres n'hésitent pas à se montrer d'emblée. Une chose est sûre, l'équilibre du couple face à cette épreuve dépend grandement des relations établies avant l'opération. Grâce à la chirurgie plastique, qui permet de reconstruire le sein, des femmes parviennent à se réconcilier avec leur image.
Malheureusement, peu de patientes connaissent encore cette possibilité. Certaines considèrent même cette intervention comme un luxe (ou elle leur est présentée comme telle) et n'osent pas la demander. Dans les centres hospitaliers universitaires où des équipes connaissent bien la reconstruction mammaire, l'information est correctement donnée. Mais, dans certaines régions, il existe des lacunes qui tendent à se combler peu à peu
Pourtant, la reconstruction mammaire fait, à ses yeux, pleinement partie du traitement. Elle doit être évoquée dès la première consultation du cancérologue, car ce n'est pas seulement une question d'esthétique. En outre, l'opération est remboursée par la Sécurité sociale. Mais l'intervention esthétique ne suffit pas à résoudre tous les problèmes qui se posent ensuite. Les femmes doivent se préparer psychologiquement à la reconstruction pour ne pas être déçues par le résultat.
La plupart des femmes opérées sont satisfaites : Elles trouvent en général un grand bénéfice à ne plus mettre de prothèse amovible et à retrouver le volume de leur poitrine. La majorité est contente du résultat sur le plan esthétique.
Ainsi, Edith n'a pas regretté sa décision. Dans son cas, plus d'un an s'est écoulé entre la mastectomie et la reconstruction mammaire. Le résultat lui convient, elle recommence à porter des robes légères et n'hésite plus aujourd'hui à se rendre à la plage ou au sauna. « Ma poitrine est mieux qu'avant. » Edith, au sujet de sa prothèse.
Des équipes médicales proposent à leurs patientes une reconstruction mammaire immédiate : la prothèse est mise en place au moment où le sein est enlevé. C'est une solution très bénéfique pour certaines femmes. Mais il faut être sûr qu'elles s'attendent à ce qui va suivre. Ce type de reconstruction permet d'éviter le sentiment de mutilation, mais non celui d'avoir perdu un sein. Si l'apparence extérieure est respectée, néanmoins les femmes se rendent compte que leur corps n'est plus le même.
Pour cette raison, certains établissements préfèrent séparer les deux opérations, ce qui laisse le temps à la patiente de réfléchir et de se concentrer sur son traitement. Ce décalage ne semble pas traumatique. Il correspond au temps où l'on retire le mal. Souvent, l'angoisse suscitée par la perte d'un sein ne se manifeste qu'après le traitement, lorsque le suivi médical se relâche Le moment où la patiente commence à souffler est aussi celui où elle constate les dommages subis par son corps.
Ce dernier a trop souffert. Il a été ouvert, irradié, perfusé... A l'issue de ce parcours du combattant, certaines n'en peuvent plus et ne supportent pas l'idée d'être à nouveau opérées. Pour elles, la reconstruction mammaire représente un passage de plus sur la table d'opération. Au cours des mois suivant la mastectomie, elles ont eu le temps de s'habituer à leur nouvelle silhouette ou de s'accommoder d'une prothèse amovible placée dans le soutien-gorge.
« Reconstruire quoi ? Quelque chose de faux ? Ce serait un leurre. » Gisèle. « On m'a proposé d'attendre un an avant de prendre ma décision, mais je n'y suis pas retournée », dit Gisèle. L'âge n'influe pas sur la décision.
Voici deux exemples significatifs : Pour une femme jeune avec des enfants, la priorité, c'est la santé, et non l'esthétique. Mais une sexagénaire divorcée qui vient de rencontrer un homme se dit que cette relation est finie si on lui enlève un sein. Pour elle, la mastectomie sans reconstruction représenterait la solitude et la vieillesse. Chaque femme affronte donc la difficulté à sa manière et trouve ses propres solutions.
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