L'héritage invisible : l'impact de notre histoire familiale sur notre vie et notre bien-être
Nous savons que nous héritons des gènes et des maladies de nos ancêtres. Certaines pathologies, responsables de nos maux de ventre ou de dos, se transmettent d'une génération à l'autre. On garde aussi de nos aïeux certains traits de caractère. Lequel d'entre nous n'a jamais entendu cette phrase : "Tu es tout le portrait de ton grand-père ! Aussi têtu que lui ! "
Mais il semble également que nous héritons de l'inconscient de nos aïeux ! De leurs secrets, de leurs drames cachés. Et, heureusement, aussi de leurs passions. Nous sommes les mots d'une phrase qui n'en finit pas de s'écrire : au début de la phrase, nos lointains ascendants au milieu, nous-mêmes ; au bout de la phrase, nos enfants. Et, demain, nos petits-enfants y ajouteront leurs propres mots.
Toutes les familles ont une propension à se raconter des histoires. On détaille la vie du grand-père qui a fait fortune ou de l'oncle ruiné mort dans la déchéance. C'est le "roman familial' souvent enjolivé d'une génération à l'autre.
C'est intéressant, car cela donne aux enfants des modèles et des anti-modèles. Le problème se corse quand existent des histoires dans la famille : spoliation d'héritage, comportements répréhensibles, etc. Dans ce cas, le plus souvent, une chape de silence étouffe ces secrets, qui peuvent venir hanter les descendants des siècles plus tard ! De plus en plus, les psychologues s'intéressent à la saga familiale, où rien ne s'oublie et tout se transforme. C'est comme s'il existait une comptabilité familiale qui enregistrerait les contributions et les dettes à l'intérieur du groupe.
Lorsqu'une injustice a été commise sans être réparée, elle déséquilibrerait la balance familiale. Et ce sont ces comptes non soldés qui expliqueraient une grande partie des querelles familiales, qui, d’héritage en héritage, entretiennent les sentiments d'injustice et les ressentiments.
Il existe des "thérapies transgénérationnelle". Ou comment soigner les gens qui vont mal en explorant leur arbre généalogique ! Nous ne sommes qu'un maillon dans la chaîne des générations, et une « loyauté invisible » nous lie à nos ascendants.
Le troublant "syndrome d'anniversaire"
C'est l'illustration de ce qu'on appelle "la loyauté familiale invisible et inconsciente". Il y a un événement grave, dont on ne parle pas quelque chose se passe, comme si on ne devait pas oublier et qu'on n'avait pas le droit de se rappeler. On exprime avec notre corps ce qui s'est déroulé dans notre famille, et que les mots n'ont pas pu dire.
Les spécialistes se penchent sur des cas où le hasard semble seul responsable : les accidents de voiture. Ils enquêtent, par exemple, sur l'accrochage de Roger, le jour où il a conduit son enfant de six ans à l'école pour la première fois, à la rentrée de septembre. Or, lui-même, à six ans, en se rendant pour la première fois à l'école avec son père, a eu un accrochage, un 1er octobre.
Cet accident sans gravité se retrouve ainsi sur trois générations. Et à chaque fois, le jour de la rentrée ! Enfant, le grand-père de Roger n'a pas eu d'accident, et pour cause : son père a trouvé la mort pendant la 2nd guerre, et, en attendant que sa mère touche sa pension de veuve de guerre, il a dû garder les vaches et n'a donc pas pu aller en classe. Mystérieusement, le premier jour de l'école, un petit accrochage vient rappeler cette rentrée empêchée de l'aïeul !
L'arbre généalogique étudié par les psy s'appelle le génosociogramme : il porte des branches, avec les noms des ancêtres et leurs dates de naissance et de décès, mais aussi les noms des amis, de la nounou, bref, des gens qui ont compté dans l'histoire familiale, ainsi que toutes les dates importantes. Ce n'est pas une baguette magique qui efface tous les soucis et toutes les interrogations sur son passé, mais un outil qui permet de mieux se comprendre.
C'est comme si vous entriez dans une pièce où vous avez l'habitude d'aller, et que vous vous mettiez le dos à la fenêtre : la perspective est différente et vous ne voyez pas du tout les mêmes choses.
Ce travail sur le passé peut s'avérer précieux. Beaucoup de nos choix sont dictés par notre inconscient le mariage, le mode de vie, la profession que l'on choisit. Soit on répète ce qui s'est fait avant nous, soit on prend le contre-pied, mais c'est important de s'en apercevoir pour pouvoir changer de comportement. Tout le travail personnel consiste à déloger l'histoire familiale officielle de son trône, et d'aller voir ce qui est caché dans les placards !
En dessinant son arbre, on s'aperçoit par exemple que certaines dates se répètent de manière mystérieuse. Les dates ont une importance. C'est par leur biais que notre "inconscient ancestral" nous parle. Quand, dans une famille, on n'a pas fait le deuil d'un parent ou d'un enfant, sa date de naissance ou de décès va se retrouver d'une manière ou d'une autre dans une nouvelle naissance, la déclaration d'une maladie, une opération chirurgicale, etc.
Le cas de Céline, 35 ans, est assez troublant. La jeune femme se décide à consulter un psychothérapeute parce qu'elle n'arrive pas à avoir d'enfant, alors qu'il n'y a apparemment aucun obstacle médical.
« A la demande de mon psychogénéalogiste, j'ai étudié les dates de naissance et de décès de tous les ascendants que je connaissais. Un jour, j'ai interrogé ma grand-mère, et elle m'a fait remarquer que j'avais oublié quelqu’un dans mon arbre. Un enfant qu'elle avait eu après ma mère et mes oncles, et qui était mort très jeune. Elle avait mis des années à s'en remettre, et ma mère gardait un si mauvais souvenir de ces années-là qu'elle ne m'en avait jamais parlé. Je n'arrivais peut-être pas à être enceinte par fidélité à une souffrance familiale. Comme si je devais moi aussi souffrir dans mon corps d'un chagrin non résorbé... » Aujourd'hui, Céline, qui a pu éclaircir un pan de son histoire, attend son premier bébé.
Date de naissance : un choix inconscient ?
Dans ce domaine de la maternité, la neuropsychiatre Jeanne Morel est persuadée que les femmes choisissent leur date d'accouchement avec leur inconscient. Ainsi, on remarque que beaucoup d'enfants voient le jour après un deuil dans la famille. « C'est une mise en acte, explique-t-elle. Ou plutôt une mise en enfant. Littéralement, il n'y a plus de cadavre, il y a un enfant qui vient prendre sa place et faire barrage au deuil. »
Nos aïeux ne nous transmettent pas que des drames, des secrets terribles, des accidents pénibles ! Seulement, ceux qui consultent un psychologue sont des gens qui souffrent et tentent de savoir pourquoi. Les autres ne consultent pas. Les gens heureux n'ont pas d'histoire, dit-on souvent. Eh bien, on se trompe !
« En fouillant dans son passé, on peut aussi se découvrir un héritage positif, assure Jeanne Morel. En faisant son génosociogramme, on apprend ce que nos ancêtres nous ont transmis de fort, de bon et que nous devons transmettre à notre tour. On se sent pris dans une entreprise collective à laquelle on est prié d'apporter sa propre pierre. »
Une passion en héritage
L'histoire de Maxime, 40 ans, illustre bien cet héritage familial positif. « J'ai toujours aimé cuisiner, souligne-t-il. Depuis l'âge de dix ans, c'est moi qui fais des gâteaux pour la famille. J'expérimente des recettes, j'achète des livres de cuisine. C'est une passion, et j'en ai fait mon métier : je tiens un restaurant. » Ce qui pourrait être banal l'est moins quand Maxime commence à expliquer que, dans sa famille, personne n'est cordon bleu, bien au contraire ! Sa mère ratait tout systématiquement et son père ne mettait jamais les pieds dans la cuisine.
D'où Maxime tient-il son don ? « Quand j'ai hérité de la maison de mon grand-père, à la mort de ma mère, j'ai trouvé, en triant des papiers qui dormaient au grenier, quantité de recettes écrites par mon grand-père. Je ne l'ai jamais connu, car il est mort jeune. Or, on m'avait toujours dit qu'il travaillait dans une banque.
En interrogeant ma grand-tante, j'ai su le fin mot de l'histoire : il avait été un très bon cuisinier dans sa jeunesse, mais un ami de son père lui avait trouvé une place dans une banque. Il avait alors quitté ses fourneaux pour devenir fonctionnaire. C'était une progression sociale, mais aussi, hélas, la fin des espoirs de mon grand-père, qui rêvait d'ouvrir un restaurant. Cette révélation m'a profondément ému : j'ai eu l'impression d'être lié à lui par un fil invisible. Ma passion s'enracinait dans le passé. »
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