Impact des troubles affectifs de l'enfance sur la santé à l'âge adulte
Saviez-vous qu'un sentiment d'injustice affective ou un conflit entre les parents peut avoir des répercussions plus importantes sur les enfants qu'une longue absence du père, ou une séparation des parents ? Cette information jette un sérieux trouble sur certains préjugés que nous avons sur l'éducation. Nous connaissions la fragilité du monde de l'enfance, mais - révélation stupéfiante - les "domaines les plus vulnérables" ne sont peut-être pas là où nous les attendions...
Cette analyse a pu être établie de façon scientifique et donc objective par certains médecins et chercheurs. Les conséquences sur ces jeunes victimes ont été évaluées de façon médicale : quand on a connu des problèmes affectifs lors de son enfance, on fait plus souvent état de maladies, d'accidents et d'autres signes de souffrance à l'âge adulte.
Ainsi, un grand manque d'affection vécu pendant la jeunesse se traduirait par une augmentation de 49 % de maladies déclarées, des conflits entre la mère et le père correspondent à un supplément de 45 % de pathologies, l'absence prolongée des parents est associée à un supplément de 36 % de déclarations des maladies, etc.
Si les faits ont été établis avec certitude, les explications, quant à elles, sont plus difficiles à définir. Pour mieux appréhender tous les rouages de ces phénomènes à la fois subtiles et extrêmement complexes, voici trois témoignages.
Comme vous le constaterez, Gilles, Jade et Christelle ont un point commun, celui d'avoir "souffert" - pendant leur enfance - de problèmes affectifs qui n'ont malheureusement rien d'exceptionnel...
Témoignage de Gilles 58ans : « L'enfance, ça marque ! »
Ses parents étaient maraîchers, et dès son plus jeune âge il participe - à la demande de son père - à l'exploitation familiale. « Le matin on se levait à 4 h 30 pour cueillir les salades, ensuite les laver et les mettre dans des cagettes. Puis c'était au tour des carottes et des navets. Le soir, il fallait quelquefois que je lave encore certains légumes avec une eau froide qui me glaçait les mains. J'étais le seul à travailler ainsi. Mon frère aîné, lui, ne lavait jamais rien ! »
Plus que ces conditions de travail difficiles, le plus dur pour Gilles fut cette injustice parentale : « Quand le soir je m'entendais dire que je n'avais rien foutu, j'en avais les larmes aux yeux ».
Gilles souffrira toute sa vie de cette absence de reconnaissance. Il sera toujours marqué par l'empreinte de ce handicap. Il définit lui-même son parcours de façon laborieuse : "Ne demandant jamais rien à personne". Aujourd'hui, Gilles souffre de rhumatismes et d'une hyperthyroïdie apparue à la mort de son père et "engendrée" par les problèmes relationnels avec ses frères et beaux-frères.
Que s’est-il passé pour Gilles ?
Le destin de Gilles semble être marqué par cette injustice parentale. Le destin de sa vie, comme le destin de ses maladies. Il est résigné à ce manque d'affection parentale, comme il l'est aujourd'hui vis-à-vis de ses maux. S'estimant exclu de l'amour de sa famille, il se sent également écarté de ce qui pourrait apaiser ses souffrances.
Dans le cas de Gilles, existe-t-il un lien direct - un phénomène de cause à effet - entre ses antécédents familiaux et ses rhumatismes ou son hyperthyroïdie ? Une conséquence directe : certainement pas ! De toute façon, il est difficile de répondre de façon définitive à cette question. En revanche, une chose est sûre : ce manque d'affection n'est pas sans effet. Et il paraît certain que les maladies dont il souffre sont "vécues", "supportées" de façon plus douloureuse que chez n'importe qui d'autre.
Témoignage de Jade 24 ans : « Je n’ai jamais fait le deuil de ma grand-mère »
Jade, 24 ans, étudiante en droit, n'a pas supporté la disparition de sa grand-mère. Elle se plaint d'un surpoids et d'un pityriasis une maladie de peau. Jusqu'à son entrée au cours préparatoire, Jade est élevée presque exclusivement par sa grand-mère. Ensuite, même si ses parents s'occupent davantage de Jade, sa grand-mère demeure très présente. « À tel point que je la considérais comme une deuxième maman ! »
L'entente avec ses parents n'est d'ailleurs pas idyllique. Son père, connaissant des difficultés professionnelles, n'est jamais très disponible. Jade le décrit comme une personne autoritaire et facilement irascible...
Sa mère, de son côté, n'est pas très présente. À l'âge de quatorze ans, c'est le drame : Jade perd sa grand-mère ! La disparition de « sa deuxième mère » lui laissera un vide immense, un manque impossible à combler. C'est à partir de cette période que Jade commence à grossir de façon importante. Plus tard, elle présente un pityriasis - maladie de peau - qui se caractérise par de fines desquamations blanches.
Un an plus tôt, son père a souffert d'un psoriasis, une affection cutanée qui - sur certains points - peut s'apparenter au pityriasis. D'ailleurs, Jade dira à son père : "C'est ta faute, c'est toi qui m'as contaminé la peau... " En réalité, il ne peut en aucun cas s'agir ici d'une contamination par un germe.
S'agirait-il alors d'une transmission d'un autre type ?
Que s'est-il passé pour Jade ?
Le décès de la grand-mère de Jade a renforcé le manque de cohésion familiale. Les désordres affectifs qui touchent la jeune fille à cette période se traduisent par des problèmes somatiques. La prise de poids est liée, d'après Jade, à "un manque de volonté".
En réalité, elle est déprimée... Quant à la maladie de peau, le pityriasis est en général de cause inconnue. Les facteurs psychologiques sont parfois liés à cette affection cutanée.
L'ensemble des troubles dont se plaint Jade sont - en grande partie - les conséquences directes de ses problèmes familiaux, d'une carence affective. Le décès d'un proche a déclenché une cascade de phénomènes psychosomatiques.
Le témoignage de Christelle, 45 ans : « Je n’ai jamais compris la séparation de mes parents »
La mésentente entre son père et sa mère l'éloigne très jeune de toute chaleur et complicité familiale. Christelle se retrouve d'ailleurs toute petite en pension à l'étranger. « On m'a dit que c'était pour raison de santé ! Je n'ai jamais su de quel problème précis il s'agissait. À l'âge de neuf ans, je suis rentrée en France. C'est une période qui fut, pour moi, très difficile. »
Christelle insiste sur sa préférence à rester seule, et souhaite fortifier de plus en plus son indépendance. Elle avoue, d'autre part, être extrêmement nerveuse et insomniaque, elle refuse quelquefois de se nourrir et se sent souvent exclue.
Ses problèmes d'allergie sont assez récents, et elle n'aime pas les aborder. « Quand ça me gratte, précise-t-elle, le mieux est d'ignorer cette gêne puisqu'il n'y a rien à faire ! » Ce ne sont pas les seuls problèmes de santé dont elle souffre, mais les autres, Christelle ne souhaite pas en parler...
Que s'est-il passé pour Christelle ?
Christelle a construit sa personnalité sur les épreuves dont elle a souffert. Elles lui donnent les moyens de légitimer son existence, de revendiquer sa solitude. Quoi qu'il en soit, les liens entre ses antécédents et les troubles qui l'affectent ne sont pas faciles à discerner. Une chose paraît certaine : les phénomènes allergiques se manifestent davantage dans les états de stress et de tension... des situations que vit - de son propre aveu - fréquemment Christelle.
Pourquoi l’enfance peut-elle avoir des conséquences sur la santé ?
Par quels mécanismes biologiques, par quels truchements psychanalytiques, par quels neuromédiateurs savants se manifestent ces phénomènes ? Des événements vécus durant notre enfance imprégneraient notre mémoire pour, quelques années plus tard, réveiller des symptômes et des douleurs diverses... Les causes de ces affections qui s'inscrivent dans le temps sont innombrables.
Il apparaît que des enfants qui ont "souffert" manifestent plus tard certains comportements jugés "à risque" (comme le tabagisme, une plus grande consommation d'alcool, une conduite automobile se soldant par plus d'accidents...). Parmi toutes les raisons invoquées, le manque d'affection inciterait certaines personnes à rechercher des satisfactions immédiates (parfois au prix d'un certain risque) et empêcherait au contraire de s'imposer certaines privations ("de bonne conduite").
D'autre part, pour un nombre donné de maladies, la propension d'un individu à consulter un médecin est plus faible s'il a connu, avant ses dix-huit ans, au moins un problème affectif durable.
La représentation que l'on se fait de sa propre personne se construit très tôt. Les relations affectives que chaque enfant noue (ou au contraire dénoue) avec ses proches conditionnent en partie l'estime et l'attention dont il pense pouvoir bénéficier. Ainsi, certaines attitudes, certains comportements à l'égard de son propre corps se campent dès le plus jeune âge. Ils ont une incidence sur les représentations que chacun construit de son physique ou de sa santé...
D'autres fois, la maladie vient "se graver" dans la vie du sujet. Des événements survenant très jeunes auront un impact quasi indélébile sur la future existence du sujet, à l'origine d'une grande fragilité psychosomatique.
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