« J’ai eu ma première dépression à la suite de mon divorce, qui a servi de révélateur et fait ressortir beaucoup de souffrances, témoigne Coline. Au début, je me disais que je n'avais pas le droit de me plaindre car, après tout, je n'avais pas un cancer ou le sida... en clair, "pas une vraie maladie". J'ai donc complètement sous-estimé mon état, en pensant que c'était de ma faute, et qu'il fallait que je prenne sur moi. »
Ces sentiments de culpabilité et d'inutilité sont fréquents chez les dépressifs, qui pensent qu'on ne doit pas se laisser aller. Coline ne pouvait pas prendre sur elle, puisque la nature même de la dépression, c'est de ne pas - ou ne plus - pouvoir.
Coline a eu la "chance" d'avoir parmi ses proches un ami qui avait eu une dépression, et qui lui a conseillé d'aller consulter au plus vite un psychiatre. On consulte bien un cardiologue pour un problème cardiaque, pourquoi cette honte à rencontrer un psychiatre pour un problème de psychisme ? Sans doute a-t-on très peur de la folie, cette zone d'ombre dont on sent qu'elle n'est jamais si éloignée que ça. Et si l'on voit un psy, c'est qu'on est déjà un peu fou…
Mais surtout, on a encore du mal à considérer la dépression comme une maladie. Comme le disait le psychiatre Louis Bertagna, « la dépression n'est pas une maladie comme les autres mais, comme les autres, c'est une maladie. »
"Le déprimé pense qu'il ne mérite pas d'être soigné"
L'épuisement, le découragement sont bien souvent les raisons pour lesquelles les déprimés ne consultent pas. Ils n'en ont tout simplement pas l'énergie. Ou pensent qu'il n'y a plus rien à faire, ou qu'ils ne vont pas déranger un médecin pour ça. Le propre de la dépression, c'est la perte d'espoir. Le déprimé pense qu'il ne va pas guérir et que, de toute façon, il ne mérite pas d'être soigné. Il a peur que le médecin le juge mal, redoute l'hospitalisation et les soins, dont il a une très mauvaise image.
Parfois aussi il se dit que "ce n'est rien, c'est le surmenage, ça va passer". Ou bien il imagine qu'il a une maladie organique. Il ira peut-être consulter son généraliste, et n'évoquera alors que des problèmes physiques : maux de tête, insomnies, mauvaise humeur, irritabilité, mal au dos... Le diagnostic est donc particulièrement difficile à établir, surtout pour un non-spécialiste.
« Le psychiatre m'a hospitalisée, on m'a donné des médicaments, et quand je suis sortie huit jours plus tard, j'étais en pleine forme ! » Coline est un cas plutôt rare : lorsqu'une hospitalisation s'impose, elle dure en moyenne un mois environ.
Mais le traitement ne s'arrête pas là, à la sortie de l'hôpital puisqu'il faut continuer à prendre des médicaments pendant un certain temps, et y ajouter parfois une psychothérapie, qui peut faire beaucoup de bien. Pouvoir parler à une tierce personne, avec laquelle il n'y a pas d'enjeu ou de lien affectif établi, permet d'éclairer les mécanismes psychiques qui favorisent la dépression, mais aussi de dire sa faiblesse, son inertie, son incapacité à agir.
Le thérapeute sait que ce sont des symptômes de la dépression, il sera donc le dernier à dire les phrases qui "tuent" : « Allons, allons, vous avez tout pour être heureux, arrêtez de ne penser qu'à vous, pensez donc à tous les malheureux... »
"Seul on ne s'en sort pas : faut se faire aider"
Le plus dur, en fait, c'est pour les enfants qui supportent très mal d'avoir un parent malade. « Ce n'est pas l'âge de la compassion et ce n'est pas à eux de soutenir un parent ! », souligne Coline. Ils expriment leur frustration, parfois de façon brutale.
On ne peut pas leur en vouloir, et c'est bien pour cela qu'il est indispensable d'avoir cette tierce personne à qui se confier. Il faut vraiment le dire : seul, on ne s'en sort pas, il faut absolument se faire aider ! C'est rarement auprès de l'école, et encore moins dans son travail, que l'on trouvera un réconfort ou un soutien. Il est très difficile pendant la dépression de dire qu'on est en dépression. Même si c'est parfois possible après.
En parler permet parfois de ne pas s'enfoncer dans l'image de la maladie, mais on ne peut évidemment pas s'adresser à n'importe qui. Il n'y a pas de recette, mais il est certain que la société dans son ensemble n'admet pas les affaiblis, les non-performants.
"Je n'ai plus honte. Si les autres ne comprennent pas, tant pis pour eux"
Aussi, mieux vaut faire comme Coline, bien choisir ses alliés et faire "avec" les autres : « Je n'ai plus honte, si les autres ne comprennent pas, tant pis pour eux. J'en ai parlé à mon entourage, enfin, pas à tout le monde bien sûr. Ce n'est pas utile et, de toute façon, certaines personnes sont, vraiment, complètement bornées ! »
Rappelons que les compagnies d'assurance classent la dépression parmi les maladies incurables. Il est vrai qu'après une première crise de dépression, il y a souvent des rechutes. Mais pas toujours. Selon un rapport intitulé "Itinéraires des Déprimés", près de trois millions de personnes en France sont touchées par la dépression chaque année. On peut en guérir mais, la plupart du temps, il s'agit plutôt de rémissions, qui se soignent, et nettement mieux qu'avant. C'est seulement dans 15 à 20 % des cas que la dépression devient une maladie chronique, qui exige un traitement continu.
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