« Allez ! Un petit verre, ça ne peut pas te faire de mal. Être enceinte, ce n'est pas une maladie quand même..." Quelle femme n'a pas entendu cela au cours de sa grossesse ?
Il est vrai qu'enceinte ou pas, on a parfois la tentation d'accompagner un moment heureux d'un petit verre d'alcool.
L'occasion se présente, l'entourage insiste un peu. Le petit verre est donc généralement bu, sans trop d'inquiétude pour le bébé. Effectivement, il est vraisemblable qu'il sera sans conséquence. Pourtant, les spécialistes incitent à la prudence pour une raison très simple : une consommation sans danger pour la maman ne l'est pas toujours pour le bébé, beaucoup plus sensible au caractère toxique de l'alcool.
L'alcool franchit facilement le placenta, il passe dans le liquide amniotique et dans le sang du fœtus qui n'a pas encore un foie capable de l'éliminer. Hélas, cela provoque des anomalies cellulaires qui peuvent avoir de graves conséquences sur le développement du bébé. On a longtemps pensé qu'il n'y avait de risque qu'en cas de forte consommation, mais on s'est récemment aperçu que des quantités beaucoup plus modérées pouvaient aussi être dangereuses pour l'enfant.
À dose élevée, risque élevé, bien sûr. Lorsqu'une femme enceinte boit chaque jour au moins trois verres de vin, de bière ou d'alcool fort, il y a une probabilité importante pour que son enfant soit atteint de ce que les médecins appellent un syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF).
Premier problème, le bébé est souvent plus petit que la moyenne, et ce retard de croissance persiste après la naissance. Deuxième souci, un nombre accru de malformations. Ce bébé a dix fois plus de risques que les autres d'avoir, par exemple, un problème au niveau du cœur, du squelette, des organes génitaux, des yeux ou des reins.
Le cerveau est l'organe le plus touché
Plus grave encore, l'organe le plus touché est le cerveau, d'autant plus fragile qu'il se développe tout au long de la grossesse. Ces bébés ont donc souvent un quotient intellectuel inférieur à la normale. Ainsi, l'alcool est, aujourd'hui en France, la première cause de déficience mentale non génétique. Il y a, par exemple, sept fois plus de cas que la trisomie 21.
D'autres troubles apparaissent au gré du développement de ces enfants : problèmes de concentration, de mémoire, hyperactivité, impulsivité, difficultés à intégrer les concepts abstraits (argent, temps, calcul...), faible capacité d'anticipation, socialisation difficile... Ces troubles sont irréversibles et compromettent gravement leur autonomie d'adultes.
Bien entendu, ce sombre tableau concerne des bébés qui ont été exposés à des doses importantes et régulières (trois verres et plus par jour). Les problèmes peuvent alors être visibles dès la naissance. Un diagnostic précoce est décisif, même s'il y a peu de solutions médicales à proposer aux parents. Plus on sait rapidement de quoi l'enfant souffre, plus vite on peut l'aider à contourner ses difficultés d'apprentissage, avec l'aide notamment d'orthophonistes et de psychomotriciens.
Pour les médecins, aucune quantité n'est sans danger
Le syndrome d'alcoolisation fœtale est connu en France depuis la fin des années soixante. Mais, depuis plus de dix ans, les médecins se sont aperçus que des consommations dites modérées provoquaient aussi des désordres chez les bébés. Le problème ne concerne donc pas seulement les femmes "alcooliques". Cela peut être une femme qui a juste bu quelques verres ou pris une "cuite" au cours de sa grossesse. Boire beaucoup en peu de temps (cinq verres et plus) est particulièrement dangereux. De manière générale, pour les médecins, aucune quantité, même minime, n'est absolument sans danger pour le fœtus. Ils préconisent donc de ne pas consommer d'alcool pendant neuf mois, pour éviter tout risque.
Dans les cas plus légers, aucun signe extérieur ne vient alerter l'obstétricien. Pas de malformation ni de retard de croissance. Et ce n'est souvent que des années après la naissance, au moment des premiers apprentissages complexes, qu'on découvre les difficultés de l'enfant.
On retrouve ici les mêmes types de troubles cognitifs que chez les formes graves de SAF : ces enfants ont souvent du mal à retenir ce qu'ils apprennent, ils se concentrent difficilement, s'adaptent plus mal que d'autres à des situations nouvelles, gèrent mal la frustration, sont souvent très remuants, parfois violents. Tout ceci les met en difficulté à l'école et dans la société.
En parler, c'est encore souvent tabou
Bien sûr, tous les troubles de l'apprentissage ou du comportement ne sont pas dus à une alcoolisation in utero. Pas tous, mais beaucoup plus qu'on ne le croit. En effet, l'alcoolisation fœtale concerne dans notre pays 7 000 bébés chaque année. Soit environ une naissance sur cent.
Le problème n'est évidemment pas uniquement français. On retrouve les mêmes chiffres dans tous les pays occidentaux où des études ont été faites. Aux Etats-Unis et au Canada, devant l'ampleur du problème, le syndrome d'alcoolisation fœtale est devenu une priorité de santé publique. Les femmes sont régulièrement sensibilisées par des campagnes d'information.
Malheureusement, rien de tel en France. Les dangers de l'alcool pendant la grossesse ne sont pas suffisamment enseignés dans les universités et trop de médecins les sous-estiment encore. Ils ont, de plus, beaucoup de difficulté à aborder la question de l'alcool avec leurs patientes. Pudeur, tabou... on parle plus facilement de tabac que d'alcool, comme s'il était inimaginable qu'une femme enceinte puisse boire.
Pourtant, dans la plupart des cas, il suffirait d'informer les femmes. Ne pas les culpabiliser si elles ont déjà bu, mais les aider à diminuer ou à arrêter. On ne sait jamais exactement comment le bébé va réagir parce que, comme les adultes, il a une tolérance à l'alcool qui lui est propre et qui est imprévisible. Avec un peu de chance et si la dose est faible, il tolérera donc bien la quantité d'alcool qu'il a reçue. Mais quand on le peut, autant limiter la prise de risque.
La plupart des hand nombre pour éviter que des bébés soient encore victimes par ignorance.
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